24.9.14

26. Lettercamp c/o Escalofrio _ 'Sudaca'


Un mot. SUDACA. Un mot porte-manteau. D'autres diront un mot valise. Migratoire. Le porte-manteau étant sédentaire. SUDACA. SUD AmériCAin. Sudamericano. Ramon arrivait de Barcelone avant de repartir au Chili. Andrés avait l'alphabet prêt, glacé à cœur, dans le container frigo. C’était à eux de choisir le mot. Andrès m’expliqua : les wet-backs, l’idée de sueur aussi. Maldito sudaca… On se retrouvait sur les notions de territoires et d’identités. D'un terme péjoratif pour certains, regroupant pour d’autre, un mot drapeau, stigmatisant. Selon.
Au fond des poches, les clés récupérées du Chai à Vin, sur le Mole 1 de Dunkerque. Un ancien dépôt de pinard, magnifique bâtisse, des cuves à vin sur trois étages, et dehors une espèce de station service (visible ici) où les camions-citernes venaient se remplir des vins importés d’un peu partout. Principalement du Gris, de Boulaouane, Maroc.

Un an après l’installation (les traces accumulées durant toute l’opération Lettercamp sont nombreuses et le temps passé à les formaliser reste immense, une entreprise en elle-même… le temps de la représentation est un autre monde, un autre temps…), un an après, Rémi a monté la vidéo à partir des photos prises en continu durant la journée. Aucun visiteur. Juste nous. À traîner autour, chercher l’image, les images, le sens, le lieu et ses sons. Andrès avait branché le Zoom, enregistrant tout sans vraiment qu’on le sache. Oublié aussi. Stocké.
En plus des clés, au fond de la poche, un harmonica traînait, des barres de fer jonchaient le sol du site, des blocs de ciments, de l’eau retenue et l’étrange son produit par les alvéoles viticoles, cuves aux parois couvertes de verre…
Un an après, le son exhumé fut compressé pour correspondre à la courte durée des images compilées, mises bout à bout. Cette compression donne la première bande son, la nappe sur laquelle quelques bruits particuliers de cette journée furent retenus, ajoutés. Certains étirés… On le voit, dans tous les cas, qu’il s’agit bien d’une histoire de compression, d’étirement du temps. De disparition et de réapparition.

Un an après, l’action, à l’époque cachée, devient enfin visible, ici. En partie. La journée. À attendre la fonte. Il en reste ça.

« Estamos sin embargo forzados al extracto »

« Nous sommes néanmoins contraints à l’extrait »*

Ce jour-là, on comptait attendre la fonte complète des lettres. Le soir, fatigués, affamés, la lumière déclinant, nous décidâmes d’accélérer la fonte par la casse. Typographique elle aussi. Fonte et casse.

Ce soir, de retour de Lidice en République Tchèque, travaillant sur un autre projet autour de ce village tchèque entièrement détruit par les allemands en 1942, les deux projets se télescopent. Le mot fondant, représentant une communauté, et ce village tchèque détruit avec la volonté assumée de le raser complètement dans le but de faire disparaître absolument toute trace visible de son existence : le rayer de la carte… Non, rayer laisse une trace… Le mot persistant derrière la rayure biffant : non pas le rayer mais l’effacer, l’annuler, purement et simplement. Produire une inversion du temps. La disparition d’un village, complet, celle du mot, d’un groupe ethnique, sudaca, et d’une lettre signant l’acte d’effacement (le « e », balayant, à la fin porte lui-même cette idée de disparition…).

Ce soir, je relis autrement le final, à l’époque l’idée était simplement de faire disparaître toute trace de notre passage dans le lieu : ce soir les choses sont différentes, autre regard, augmenté, à moins  que ce ne soit la vidéo qui n’ait réduit notre acte. Ce ne sont plus les traces de notre passage qui disparaissent mais le mot : SUDACA. Comme si cela n’avait pas existé, comme si le mot même n’existait plus (d’habitude les mots fondent d’eux-mêmes, naturellement… mais est-ce réellement le mot qui fond ou alors chacune de ses lettres ?). Ce soir c’est comme si l’existence de flux migratoires d’Amérique du Sud vers les États-Unis ou l’Espagne n’existaient pas. Balayés. On efface le mot, cassé, brisé, comme niant ainsi la réalité qui l’avait fait naître, et à travers lui existait. Aux yeux des autres.

Apparaissant puis disparaissant. Un bout d’ailleurs. À peine incarné ici.

Un an après, la vidéo révèle l’acte caché.


Lettercamp c/o Escalofrio

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