il ne faut rien séparer de soi du chemin qui
nous mène
il ne faut pas si nous épargnons les pas
nous n'arrivons plus
épars les pas qui parce qu'ils
ou parce que nous
allons sans but sans boire l'eau des rivières
sans allonger la main sur la bute
de terre de sable marin sans voir
l'ode des libellules des lits défaits par la vague
sans écrire sur papier épais les mots du chemin
sans tout libellé à l'autre
le lointain
qui marche ou qui marchait sans arracher la mousse
où nous
ou où les pas
nous emmenaient si loin que fut notre route
et maintenant entre ses mains
maintenant la lisière des forêts entre ses mains
qui cheminent
à l'abandon
il ne faut rien
car
le chemin que je devais suivre n’est pas encore sous mes pieds. Les cailloux que j’accroche, les fossés où je tombe, ne sont pas les cailloux sur lesquels je devais trébucher, ni les fossés dans lesquels je devais me coucher.
Ma peau est promise à l’abandon, croyez-vous, au souffle des zéphyrs qui arpentent ma carcasse ; mais je vous le dis en vérité, ma peau sera le tapis que l’on déroule le long des berges fraîches à l’aube des mois d’été, ma peau sera la carne que l’on traîne sur les routes sinueuses pour piéger les loups, ma peau sera l’ornière où les voitures s’embourbent.
Oui, et je serai loin, rafraîchie par l’eau des rivières, dévorée par les bêtes sauvages, noyée dans les pluies drues ; mais je vous le dis, je ne serai pas baignée par la salive crachée au visage, je ne serai pas mordue au flanc par les sarcasmes acérés, et je ne serai pas logée dans le bourbier des commisérations
je ne serai pas parmi
des commissaires de
même hiver
de même misère
je ne réclame pas
les pas
je ne
réclame
pas
les passades les passages les passions les paradis
les pas raidis
les nœuds de colère
pas pour moi je ne noue que la vie
à la vie
là où je vais je visse mes jambes
au sol
solennellement
je visse mes genoux
je visse mes pieds
je bricole l'immobilité
l'éternité
aux pieds de mes certitudes, où se dessinent les regards acerbes de ma folie, je fais tomber mes os en cascade soudaine.
Ô bras qui se lèvent et broient dans la pénombre ce qu’il me restait de foi !
Tant de fois sur ma peau j’ai aimé le silence, mais aujourd’hui le monde murmure à mon oreille. Les idoles ont fondu leur cire.
J’avance mes pas vers l’informe vérité
qui verse dans la voix
des virgules des violes des viandes d'homme
j'avance mais pas
vers la part des dieux
je recule au fond confinée
dans les fresques grotesques
je renifle le foin je m'immole au soleil
et ma dérive vient comme
les chattes s’alanguissent sous les haies de cyprès ; elles ronronnent contre les nuques mâles, leur arrachant de longs soupirs.
Elles se sont arrêtées là, sur le premier passant assombri par les longues silhouettes des arbres dressés, et ne partiront qu’à l’heure des cimetières où les emportera quelque furie tirant les cordes d’une harpe usée.
Les chattes chantent déjà avant que n’aient vibré les arpèges redoutés ; et leur voix rauque étouffée dans le cou des hommes balaie l’horizon noir.
À l’heure de leur départ, où se mourra le velours de leur langue ? De quelle étroite blessure se souviendront les hommes qui les berçaient sous les laves du ciel ?
Nul ne le sait
saisir le sang d'un cou couché
c'est un vent vampire
un vent vent un vœu un ver
qui déraille
qui raille
qui raye
qui ne voit plus
que l'image emmagasiné dans sa cervelle
le miaulement macabre
les miasmes du monde
ça nul ne le sait
la saveur des rêves
la bavure des sages
l'emphatique abréviation par allongement
c'est la sapience à laquelle ne remédie rien
seulement quelquefois les gardes baissées
les œillères tronquées
quelque trou de verdure qui garde
les regards posés au hasard des tiédeurs du jour, ils tenaient leurs paupières ouvertes contre le gré du vent, à sécher la pupille de leur passion, à ne plus savoir qui ils étaient, à ne plus laisser autrui les reconnaître.
Sur le banc inerte d’une pelouse abondamment nouée de soleil, leur marche était silencieuse. Côte à côte, ils avançaient à reculons du temps pour ne pas qu’arrive la tombée du crépuscule –car toujours il se vautre sur les humains avec le fracas d’un capitaine ivre.
De mélodieux bourdonnements laçaient des arabesques à leur rictus et sur l’un et l’autre levaient des breloques de pudeur ; mais plus ils tâtaient sur leur visage l’inaccessible flegme, plus ils chatouillaient l’étroite niaiserie qui bande aux lèvres des arcs en peau molle.
Bientôt, ils coururent aux portes des minutes abandonner leur insoutenable incompréhension, s’arrachant l’un à l’autre des courtoisies dégluties rapidement – ainsi souhaitaient-ils retrouver la nourriture spirituelle du précipice dans lequel ils mourraient d’envie de se jeter
feu d'artifice
ou chinoiserie
la face facile il faut se jeter
avec élan
au loin
jeter l'ensemble des années
tout ensemble
pas de trace qui reste
du tout au tout
au trou
brunies les feuilles s'enflamment
les autres se froissent
jette sept fois jette les sept merveilles
jette cette chose jette le nul jette l'inutile
jette tes chaussettes
jette la jet set jette la serrure jette-la jette et
retombe
La brume était tombée comme une âcre odeur d’urine au chevet de mes nuits et je voyais l’opercule de mes mains se déchirer doucement.
Partout où s’ouvrait le firmament et s’appesantissait au creux de mes os son intense vérité, se terrait l’erreur aveuglante de mon amour pour le grand Vide, l’éternelle plaie de mes paumes dont rien ne sort que le mirage d’un destin.
La brume était tombée et j’étais tombée comme elle, entre l’asphalte dur de mon silence et le ciel barré par sa miséricorde. Ramassée sur la grève dont on voit à peine la grisaille. Enroulée dans l’inconsistance de ma foi. À genoux dans la brume de mon existence
excitée vers la sortie
âprement déçue de la chute
nous ne voyons plus
la pluie embrume la vue
impossibilité rédhibitoire nous ne vous excusons pas
rien n'est excusable à l'agenouillé
mouillé dans sa pisse
épuisé dans ses os
exécuté par avance
ils ne m'excusent pas
donc
ils parlent ils ourlent leurs lèvres
ils affabulent ma vie
viciée par l'agenouillement sans sacrement
ils toussent leurs voix crépitent
je crépite je bitume mon corps
ils m'emmènent ils m'emmurent ils m'enrhument et
le murmure des étoiles à la porte de ma chambre s’excite chaque soir comme une quinte de toux jetée dans ma tête concave.
Elles se couchent auprès de moi et brûlent mes draps d’une infatigable langueur ; elles cherchent contre mes reins le tisonnier lunaire ; elles se crispent sur mon ventre ; et elles s’en vont au petit matin, lorsque les linges pendus aux fenêtres sont des rêves incendiaires dévorés par leur venue.
Que n’est-ce mon murmure qui s’engouffre dans leur cœur ? J’irai fouiller leurs entrailles avec la dextérité d’un bec aquilin. J’en extirperai l’épaisse fumée comme elles procèdent chaque soir au bord de ma dépouille
pouilleuse besogne qui sera mienne
que compter sinon les poux sur les têtes ou
les poutres dans les yeux ou
les pourritures sous les ongles
une image suffirait un onguent de matin clair
une icône pendue entre les rets de lumière
d'or et d'argent
l'argent en papier précieux
où mots infiniment beaux valent de l'or
de l'aube en trésor du soleil en barre de feu
où des mots joints comme des mains de vierge
oignent les âmes d'un tendre geste
quoi
que dis-tu vilipendeur
tu dis dépuceler large
l'argent
tu dédies ma prophétie dénudes et atténues ma douce idée
rustre des fonds de culotte
je te défie vandale je te
je te
badin à bas à bas le badin
ma vierge ô ma muse vaut tout
t'amuse
tu mimes mes mots et mets le mille
dollars dollars euros yin
non
pars pars
ma muse ma vierge
non
tout ça n'est pas papier précieux dis-tu
rien n'est art
tout n'est qu'argent
Malheureux, c’est ton nom que tu caches aujourd’hui derrière ta main, collée à ton front, mouillée par les embruns de ta sueur, ta main collée à tes remords.
Tu voudrais fuir dans la contrée d’un autre monde, où ton pseudonyme pèserait plus lourd que lui, tu voudrais arracher les herbes folles sous tes pas qui s’agitent, qui fuient par ta force, là-bas, mais tu pleures, malheureux, tu pleures…
Tes pieds sont plantés dans ta conscience et impossible d’aller où que ce soit, car toujours demeure la vaste étendue de ton nom, gravé dans le marbre clair de ta peau, entaillé jusqu’au-dessous de ta chair : ton nom, celui que tes parents ont scellé avec la lourde chaîne de ton corps, ton nom, celui à cause duquel tu cours par toutes les terres, ton nom, celui à cause duquel je te reconnaîtrai, ton nom, celui à cause duquel tu périras
dans la prière des vivants
qui vendent à qui veut une paire de chaussures
ou une paire d'hommes
ou une paire d'âmes
un père une mère un caillou tout quoi
jusqu'à l'extinction
maintenant tends l'oreille
espère la pluie qui lave
et qui lève soleil poudreux des rêves incendiaires
J’entends le cliquetis des bottes qui éclate sur le coton de ma mémoire. Chaque note frappe mes côtes d’un grand coup de talon, accuse les cales des pieds et craque le plancher électrique.
Je parle désormais la langue des semelles qui lèche les parois de l’inextinguible prière, en sachant toutefois que le crissement des crevasses casse les accents de ma certitude.
J’attrape la crinière et cours sur l’étalon de mon souvenir fou ; j’étrangle de mes cuisses son encolure ; je pars chercher sur ses flancs sauvages l’extrémité de mes forces ; je cavale sur les brisures aussi loin qu’elles se dispersent.
Et quand la bête sera morte sous le poids de mes cris d’airain, le cliquetis des bottes reviendra dans mon crâne de sentinelle, et je palperai l’inconsistance de ma chimère du bout de mes os rompus
rapetissant dans les décombres du jour
tu répètes et psalmodies
le maudit trot
le trop de mots que dit ton œil
tu tries tes tas d'habits
sales
en silence
tu cherches taches sur taches
ce qui est à laver en pue
en public
tu cherches tu tâches de ne pas te perdre
et tu vas pendre aux fils
les traces de tes tâtonnements
le blabla de ta rêverie
tu te souviens comment
sa tête était ciselée dans le blasphème.
Lourds ses yeux qui roulaient deux sphères émaillées au fond de leur abîme et qui creusaient un sillon entre mes seins irrémédiables.
Lourds étaient les baisers qu’il oignait sur ma peau – l’odeur de ses lèvres coulait l’eau amnésique au fond de ma gorge.
Longs les crocs polis plantés dans le silence, plantés dans mon ventre enceint d’artifice et de parjure.
Oui, sa tête était ciselée de blasphème, et je l’ai prise entre mes mains, vinifiées et tremblantes, et j’en ai palpé les crevasses.
Et je la trouvais belle. Et j’en bouffai la rouille à force d’étreintes.
Et quand j’ouvris mes mains qui la serraient autant, il n’en resta plus que la craquelure froissée de la vesprée.
plus de clepsydre ni de montre-gousset
il reste l'horloge numérique
qui passera
elle aussi
les mots mêmes ne s'entendront plus
mais les dieux non
les dieux ne passent pas
ils se planquent dans les planches
d'une cabane de rien
dans les troncs des arbres
dans les voix des brahmanes
J’entends entre les roseaux fendus le vent qui siffle doucement, et j’imagine Daphnis en approcher sa bouche, et j’imagine ses yeux mi-clos se remplir de doux rêves.
Son nom tout près du mien, une chèvre égarée auprès de mes brebis, celles que je n’ai jamais eues, celle qu’il n’a jamais eue.
J’entends entre les roseaux fendus le vent qui souffle doucement, et j’imagine la statue d’un homme usé par les siècles, où mon reflet scellé dans sa mémoire doit ressembler aussi à la pierre échoppée qui gracieuse autrefois, est désormais verdie, moussue, où mon nez peut-être n’est plus qu’un trou béant, où ma main peut-être cherche sa main tombée depuis longtemps.
Il ne reste plus rien
à l'orage précipité dans les mailles
de la conscience
tout cumulus rendu accumulé dans l'eau
dans l'orifice du ciel qui se tord
éponge absorbante
il ne reste rien
le temps a retourné sa veste
la taupe est revenue à son trou de terre
et le poète à son trou de pierre
il s'est saigné sur les vivants
il a rouillé son jus
jusqu'ici il s'est vidé sur nous
le ciel scié par ses psaumes béni-oui-oui
sans penser ni peser quelle tête au panier
va-t-on faire encore tomber
Ma cage thoracique lève des barreaux infranchissables et moi, jeune bœuf qui supporte mal le poids du soleil, je me rue chaque jour pour en briser les gonds.
Je bois sa lumière hachée qui coule son encre rouge dans des couloirs exigus, trinquant avec le boucher de ma rue, à fracasser contre son crâne gravé Deibler mon crâne gravé Tapner. Je trinque à la cage ouverte.
Je sais que je m’en irai un de ces quatre matins, dès l’aube.
Un croissant de lune éthéré verra alors ruisseler sur les forêts et les montagnes mon sang pisseux, recueilli dans des cruches à bouillir des grumeaux noirs.
Mordus jusqu'à l'os à moelle
nous manions le coutelas nous dénouons les tripes
nous amenons la dent
à la chair
le reste au chat
le charnier s'occupe de tout
inutile de se tourmenter
mais si tu
t'échappes
mais si tu trouves
forêt air eau feu dans ton cœur
alors
que ferons-nous de nos démons
nous les repousserons du pied
et ce pied à nouveau
dans vallons et vallées
gravira la pente
Les graviers des sentiers collaient à mes pieds nus en y plantant doucement leurs racines dures. Les murailles de bois vert cernaient mes yeux taris et les lames des branches s’accrochaient à mon pèlerinage.
Je penchais ma tête vers les corolles de nuages en buvant leur impalpable caresse, celles qui laissent pendre leur chevelure jusqu’à la surface des visages extatiques. Et je croyais deviner la trace diaphane de quelques sylphides qui veilleraient encore sur les marcheurs alanguis dans leur désert ; dans les courbes de l’air ; sur le dos des insectes dressés dans ma paume ; au fond d’un chant pétri d’égarement, là où j’ai creusé ma demeure
de pelletée en pelletée
rien ne compte que les coups
caillouteux chaos
carrosserie cassée
attendre est-il juste
un pas qui ne s'avance pas
pas de lumière juste
une ampoule grillée
N’attends rien, ni que demain se lève ni qu’aujourd’hui s’arrête. Il ne sera jamais temps qu’arrive ton espoir : c’est un bâillon serré à la force des bras de la déception.
N’attends pas que ton ventre grossisse ton existence. N’attends pas que tes pas redressent le bout du chemin. N’attends pas que ta main touche le fond des cieux.
Ton ventre est plein. Tes pas sont suspendus. Et tes mains tressent l’air à jamais.
N’attends rien. D’attendre tu te jettes dans le cloaque immonde de la désillusion. N’y perds pas ton corps, n’y perds pas ton âme. Demain est trop peu. Demande l’éternité.
Que les ombres se pressent
à tes trousses
elles font contraste inconstant
si tu n'as pas perdu
le sens du temps
qui revient qui repars
qui ne répare jamais
et si tu n'as pas perdu
le jeu de la jouissance
des sens et des contre-sens
des contrevents des vents contraires
si tu n'as pas
autre chose à donner
que tes presque pensées
appuyées à ta tête
à ton tronc démanché
va viens sans dire mot
Sous les bancs du soleil où se gercent les heures arrivent les courants des vents fous et sauvages qui sillonnent les ronces d’airain.
Désormais, la serrure de mon ventre est enfoncée. Dedans passent le sourd tintement de ton amour, l’accusable sourire de l’aube froide, l’écorchure épineuse.
Ta bouche cadenassée a brigué de ma peau dénouée les algues mortes de ma mémoire ; et le soleil poursuit sa vague ; et les ressacs dentellent à mes yeux son sel rouillé.
Des mers phosphorescentes
la tienne est faille pleine
prends la mesure du monde
avec ton gant blanc
teinte-le de poussière
prends ton équerre et ton réglet
règle tes dettes
et paie du reste
le denier de la vie
les mères aquatiques ont mis
ton nombril en abysse
et la paire de souliers qui te fait aller
sur la terre ferme
ne saurait t'enfermer dans
ta chambre dans ta cuisine
partout où tu tapines
dans ta cave dépavée
ami tu ne
peux pas toutes forces consenties
ramer dans les gouttières
Doucement sous les voiles effervescents de l’immatériel, j’arpentais les couloirs en scrutant du plafond jusqu’au sol les bribes déchirées qui prenaient toutes les teintes.
Des formes lumineuses se gonflaient entre les murs, des carmes indélébiles se cognaient dans les coins et des parfums duveteux suintaient çà et là.
Et le marteau de Thor chassait les géantes raisons qui me tenaient à la vie : mourir sur le champ, afin de m’encenser comme un bourgeon frais dans le sein miraculeux de cet espace innommé et de prendre la consistance de ces mouvements impétueux.
Alors je me laissai absorber par l’éclat brusque des bulles et disparaître en un souffle, tirée par mes cheveux de séneçon.
Est-ce un rêve
la vesprée qui s'envole
dans la voilure des yeux
elle est chauve
on ne l'attrape pas
la femme de paille
elle flambe elle tombe en cendres
et quand les cendres sont froides
elle est devenue
piquet
les pies les corbeaux ne se battent plus
elle est droite elle est raide
comme la justice
la femme de paille est comme le rêve
incendiaire elle est
comme ses cheveux qui ne tiennent
pas à sa tête
elle non plus
ne tient pas à nous
car elle sécrète entre les veinures de son bois
l'indicible
elle dit
Un exact secret est enfermé dans ma bouche.
Il sort d’entre les serres d’une colombe, celle qui chaque jour vient à l’heure où le soleil fauche les réverbères et incendient les corps agonisants des gueux endormis.
L’oiseau tire sur ma langue et fait tomber une ombre. Alors je peux lire sur le sol les runes qui s’agitent comme les corps des serpents se lovent sur la pierre froide :
L’exact secret est sorti de la faille incompressible de ma face, et n’est plus secret qu’à ceux qui ont brûlé la mémoire des signes.
Je sens aussitôt l’œuf de l’univers féconder à nouveau ma bouche déformée par tant de cris, je sais déjà que demain, sous la même heure, je déglutirai leur masse à l’endroit de ce même silence.
Ainsi parle la femme de paille
elle fréquente les sorcières
elle est elle-même de la même souricière
elle a même rencontré un homme
un preux de la paille
qui la prend chaque soir il lui dit
enlève tes bottes
de foin
et il la déculotte de toute sa raideur
tous deux sont secs comme
les cheveux de paille
elle est femme autant qu'elle peut l'être
si peu
comme lui n'est homme
même pas pour elle
mais pour personne
Cet homme porte son cœur haut, presque sous la gorge : à force d’avoir levé le bras qui tranche, son cœur a remonté la pente abrupte.
Il sent peser la trace ouverte sur sa poitrine. L’œil sanguin est descellé et lit désormais l’arcane qui s’esclaffe dents aiguisées.
Jusqu’à la treizième porte, il laissera pendre la besace lourde faite de sa peau tannée, celle qui tient le pain d’épeautre qu’il offrira à la grande bouche de sa folie.
Les gens de la terre
ne sont pas tous tournés dans les meules
façonnés dans les paysages d'herbe
il en est qui chantent
avec des flûtes dans la gorge
ils claquent des mains
appellent les oiseaux sur eux
ceux-là sont faits de ciel
il en est qui cherchent le soleil
dans les cailloux de midi
en cramponnant les branches
en mâchant des feuilles
de quoi ceux-ci sont faits
il en est qui cherchent
à tout être à la fois
l'herbe et le rameau
le caillou et la pierre
en essayant de chanter tant qu'ils peuvent
ceux-là ne sont faits de rien
ils s'étouffent avec l'herbe
et leurs chants toussent faux
tandis qu'ils tapent du pied et remuent la terre
J’accroche des cailloux aux cheveux de mon amant, des cailloux qu’il prend pour des lanternes rousses et estivales.
Je lui murmure de solennelles odes paillardes à l’oreille ; et il plie ses genoux à pleurer dans les langes d’une enfant vierge, en me jurant, en me jurant, que tout de lui, jusqu’à l’ombre escarpée de son âme, est transporté par l’amour.
Je le repousse du pied et de mes pierres, je tourne mes yeux de ses yeux qui pissent des cendres froides.Il ne s’arrête jamais d’être mon amant caillouteux. Je ne m’arrête jamais de piocher dans sa poitrine
de sonner le glas dans ses yeux
et la vie sans doute
souvenir corrompu par la décrépitude
que dire du présent
qui se prend et qui ploie
dans les têtes velues
n'existe-t-il plus
il est entre les mains de celui qui salue
entre les moignons de celui qui ne salue plus
il est dans la moisson de chaque année
en quatre saisons plié
il est là
on ne lui ôte rien
on lui donne
une consistance de pâte Fimo
ou de vérité
Mes insomniaques espérances : je les repoussais du pied doucement chaque jour avec les orties qui jonchaient ma demeure.
Mais elles revenaient toujours furieusement, baptisées de ma misère, entre les dents serrées de mon ombre qui remuait sa queue de chienne.
J’eus été l’eau qui coule au hasard des pentes vers l’océan. J’étais le clapotis qui se heurte à la roche.
Chaque jour vainement, j’eus été ce que j’étais.
Même si j'ai jeté ma
tête la première
et ma dernière tête
dans la poubelle du monde
j'étais déjà debout sur le sentier
j'attendais déjà qu'on me rompe les os
pour entendre dire
je t'ai
toi là
je t'ai
déjà vendue contre du vide
contre un vide-ordure
contre une ordure pleine
et puis le pain qui se donne
à l'autre bouche
et puis les pas qui repartent
sans avoir rien su
Je suis les traces de mes pas dans les étoiles sèches. Je donne mon ombre au rituel des météores. Je danse sur la casaque de mon Père à fusiller mes pieds engourdis.
Le gourdin sous ma gorge agite ses égéries sous des ongles cruels.
Je sue du plomb et je crispe mes muscles chauds comme une braise fanée : je voudrais courir au milieu des corps tombés, mais je me heurte au pesant soupir de Dieu. Il regrette déjà et Ses larmes Lui coûtent un bras arraché. Dieu est disloqué.
Le goût de vin dans Sa gorge serrée perd mon latin dans des paters gonflés aux suaires des bordels.
La suie en rondes gouttelettes coule sur mes yeux d’hiver. Des éclats frissonnent au milieu des allées de chênes et j’agenouille ma mémoire dans la fosse à démons. Le ciel est brisé : les hommes vont et viennent dans la faille large de leur folie. Moi je palpe sa crevasse du fond de ma misère.
Ton père ne le
renie pas
ne passe pas dessus
tout se sait toutes les sciences
toutes se sont passées
de toi
tout ne s'en va pas
tout ne se vaut pas non plus
toi qui restes et demandes
qui demeures
qui t'immerges au soleil des caprices de ce monde
sache que
je veux cracher aux faces nimbées. Je ne suis pas des vôtres. Sous la calotte blanche qui pèse sur vos sourcils, je connais la conscience de bistre.
Je veux cracher à votre face. Je veux me défaire de votre route. Je veux en ouvrir une autre. Plus large. Plus large pour que s’y engouffre la vie. Je ne suis pas de vos auréoles de mort.
Où sont les parois que vous mirer ? Je palpe, mais je ne les sens pas. Seul mon crâne exigu érige des murs que je peine à abattre. Mais sous mes mains, sous celles des autres hommes, il ne s’élève rien, que la vaine pâleur de vos ombres de geôliers sans nom, celles de semeurs de tortures, celles que le revers emporte pour découvrir un soleil noir.
Les mains qui lacent des cordes
autour des cous
qui sont
courtoisies de justiciers
qu'on les coupe
qu'on les découpe
qu'on les appelle poltrons
polichinelles nous ne serons plus
quand ton visage assiégé dans la vague
sera bouffé par le sel
tu ne connaîtras plus de renoncement
seulement l'orgueil de la liberté
Prends garde, si tu palpes la tiédeur des quatre vents, que ton cœur ne se décroche pas. Il claquerait ses veines épaisses au milieu du vide. La lourde pesanteur mouillerait sa larme zinzoline.
Prends garde que ton cœur balbutie sa servitude, que ses fers soient rougis, brûlant un nom de honte. Que ton cœur soit l’humus collé contre sa chair. Pauvre et sans défense. Prêt à tomber, mais jamais se décrochant.
Prends garde à la tiédeur des quatre vents, qu’ils ne t’emportent pas ; car aux vents fous crucifiés, tu partirais sans peine chercher entre les gouttes la liberté promise.
Comment crois-tu qu'ils vivent
ceux qui s'attellent à la misère
ils tirent leurs fardeaux
ils endossent le pire
et ils s'endorment aplatis sous le joug
aie ta conscience propre
balisée
javellisée
et tes pas
qu'ils la suivent
qu'ils suintent la bonne sueur
Ils attendent l’aube, les enfants du droit chemin, pour s’en aller tirer à la chasse les oiseaux qui surnagent dans leur tête grise. Ils s’en iront, le fusil sur l’épaule, et les bottes de sept lieues chaussées jusqu’aux cuisses.
Ils pointeront le canon au milieu des deux yeux de l’oiseau. Ils retiendront leur souffle pour ne pas le manquer.
Ils boufferont leur rire de gosses radieux quand ils l’auront eue, cette saloperie de colombe.
Et ils rentreront à la chaumière, humides, joyeux, vendus.
Comme le reste de l'équipage
les sorcières à cramer sur de la paille
valaient mieux
les gueux au besace craquante aussi
ils n'avaient pas la crevasse de l'esprit
on incendie les corps
ou on les enterre
mais les têtes voilà bien longtemps qu'elles fermentent
dans le jus de la pauvreté
ou dans la sinistrose
Au milieu des fracas qui écartèlent leurs yeux et ronflent leurs tourments malheureux roule une ombre pénible vers les soirs silencieux : c’est l’ode improbable d’une veillée sereine et triste comme une chaise vide.
Les joyeux centurions qui jouaient naguère au fond des tonneaux de vin, sirotent de la soupe froide en pensant au fond de leur assiette. Trouble bouillon de rage et fadeur décantée.
Dans le fossé reposent les heaumes rouillés ; les crêtes pourrissent leurs crinières ensanglantées ; les chants des victoires n’existent plus, bouffés par les mites.
Tous pensent à travers les vers qui les rongent doucement.
Demain est presque mort.
Ils vont ressusciter sous la pourpre de nos rois, posant sur leur crâne creux la couronne des sept tares. Fils de Caïn, tous sont là, ils balbutient nos premiers mots et chantent notre dernière oraison.
Et près de nous encore d’autres rhapsodes fous boivent leurs regrets, les sucent jusqu’à la moelle et lèchent leur porcelaine comme un porc sa gamelle. Qui se souvient les avoir vus serrés à la gorge par Python ?
Et l'halluciné
qui veut encore de lui
il ne luit pas
ni de cœur ni d'âme
il n'a même pas le bon timon
pour aller ailleurs
et le sage
sa sagesse est-elle encore bonne
pour planter des radis
et les autres
tu les as tous flanqués de ton inimitié
Plante tes doigts dans les yeux de ton ennemi. Terrible est la nuit des désamours. Terrible le cri des nuages tombés. Terrible celui qui ose te regarder mâcher ton remords.
Long le doigt qui court dans la sphère. Il approche insidieusement. Sans être vu ni avant ni après.
Plante tes doigts dans les yeux de son mépris. Pris au deuil, mis au seuil des instants suspendus. Mais pris dans l’Œil-Plus-Haut-Que-La-Corde-Des-Pendus qui balance encore la dentelle de tes prières.
Il suera des larmes de sang le seul ennemi qui osait être ton ennemi. Il suppurera ton pardon sans vengeance, en face de toi, dans l’épaisse miséricorde de ton miroir
où il n'y a rien à regarder
on ne garde pas les traces du silence
on mange sa pitance maigre
on salue et l'on se retire
retourne à ta première passion
celle du singe pour le singe
en ressassant grimaces et ritournelles
d'amours tendres
retrouve quelle branche
à accrocher ton cœur
et redeviens homme
si tu le peux encore
L’Arbre de la Vie est haut à frôler la voûte céleste. Là s’y perchent les hommes de toutes les races. Les branches sont larges comme les mains d’un Moloch sur lesquelles marchent et croassent ces petits êtres charnus, qui rarement lèvent ou baissent la tête pour voir l’avant et l’après qui les ont modelés dans cette terre d’argile.
Ils ont de quoi vivre et mourir. Ils ont de quoi se repaître des quatre éléments. Mais ils ne s’associent pas au Souffle limpide de la Vie.
Te laissera-t-on sucer tes regrets
si jamais tu regrettes
que réclamer sinon
le temps de l'amertume
Deux minutes encore, les étoiles sont toutes chaudes.
Écoute, leur cœur palpite son odyssée vierge. Elles sont encore encloses dans tes silences.
Deux minutes encore, elles vont bientôt sauter dans le vide. Elles vont brûler leur dorure.
Deux minutes encore…
celui-là qui dit vrai
vous ne l'écoutez pas
le chemin qui l'a pris
l'a mené ailleurs
il est planté dans l'espace et vous êtes terrassés
dans la matière
Plissure de mes trêves sur le déclin du jour. Je suis l’anachorète qui parle à travers le silence. Je jeûne des visages d’hommes, la cire dans laquelle ils ont coulé leur souvenir reste prise à mes cheveux sales.
Mon rocher est planté dans le ciel, vieille mansarde que rien ne peut briser davantage. J’y lèche le salpêtre de l’amour du vide.
Ils me jettent l’anathème car je n’ai plus de Dieu, et l’opprobre se fracasse sur mon crâne de pauvre.
Je prie l’oiseau et l’âme ensemble. Ils m’ont pris le roseau où je soufflais mes chants. Il ne me reste plus que l’entier soupir de ma folie.
les sacs sont pleins
de surabondance les panses pleines
sont pleines de doute
la pêche est bonne
le poisson gras
et les jours eux-mêmes
ne se contentent plus de leur lumière
La levée des filets se fait doucement dans l’eau trouble du temps. Les tisseuses solitaires emportent sur leur dos nos corps ankylosés par les années passées.
Et nous croyons qu’il tombe des gouttes salutaires de nos fronts. Le vent essuie nos peaux tannées et la marche processionnelle continue à balancer nos membres lourds.
Nous cuisons nos désirs au fond des ballots. Attendre l’envolée d’oiseaux migrateurs qui n’arrivera pas, ailes ployées contre ailes ployées.
Mais ils vont bien crier
se retourner
faire enfin suinter la merde sous leur peau
exécrer leur mollesse
et reprendre la dureté des diamants
la menace est grande
elle ne vient pas de moi
elle est sous le poids de leurs cuisses
rondes et rouillées
qui se sont soudées au sol
comment peuvent-ils
marcher attachés ils ne se meuvent plus
comment peuvent-ils
éviter la révolte et refuser
de récolter la vie
Il fallait trembler les ronds de fumée au fond des poitrines qui respirent fort. Ainsi eussent-ils été le croassement glorieux des chantres plutôt que les frelons indécis qui n’osent pas bourdonner ;
Il fallait percer leurs cordes vocales de céramique, mais ils craignaient la fêlure menaçante ;
Il fallait encore bien des lois, bien des pièges, bien des jours de révolte ;
Il fallait encore bien leur foi, bien leur dure volonté, bien des nuits de sabbat au fond d’une cave dépavée ;
Pour franchir l’impasse qui les sépare d’eux-mêmes et qu’ils frappent le tonnerre qui les raviverait.
Chloé Charpentier
!!!_
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