Le
lundi matin
Le
lundi matin je me lèverais à 06 h 45. Par habitude. Par
habitude de quand nous nous levions ensemble. Je me lèverais. Irais
pisser. Me regarderais dans le miroir. Ne me regarderais plus dans le
miroir. J'irais dans la cuisine. Mettrais de l'eau à bouillir. Une
cuillère de café soluble, une pomme, une cigarette. J'entendrais le
souffle de la ventilation dans la cuisine. Je boirais ce café. Je
boirais un autre café et fumerais une autre cigarette. J'entendrais
le souffle de la ventilation dans la cuisine. J'irais aux toilettes.
Je me laverais. Mettrais un jean un tee-shirt.
Je
ne sortirais pas. Le lundi j'aurais ma journée à tuer. Je me
mettrais sur le canapé, armée d'une pince à épiler. Je scruterais
chaque poil sous la peau et gratterais. Mon entre-jambe et mes tibias
n'auraient jamais été autant marqués de points rouges. Je fumerais
une autre cigarette, je serais calme et voilée. Le temps
s'écoulerait au rythme des nappes de fumée que je cracherais. Il
n'y aurait aucun bruit. À part le râle de la ville mais au loin
seulement. Il serait midi je ferais un autre café-cigarette.
Je
regarderais par la fenêtre. Je regarderais longtemps par la fenêtre.
Et la ventilation toujours là. Je n'aurais rien à penser. Ensuite
je traînerais vers le canapé. Je regarderais mes ongles.
Je
regarderais longtemps mes ongles. J'en rongerais quelques-uns
sûrement. Je m'arracherais aussi la peau autour. Je reprendrais la
pince à épiler et continuerais la traque aux bosses. Ensuite je
voudrais sûrement regarder un film. Je n'aurais pas d'idée précise.
J'en mettrais un. Je ne le suivrais pas. Je ne comprendrais rien aux
mots articulés. Ça ferait un fond sonore.
Avec
un peu de chance ce serait la fin de l'après midi. J'attendrais
alors le soir. Je regarderais mon téléphone. Il serait vide. Il ne
sonnerait pas. Il n'aurait pas sonné. Je continuerais à attendre.
Debout dans le couloir. Dans le jour baissant. Le cendrier
déborderait et l'air serait saturée. J'aurais faim mais ne le
remarquerais pas. La nuit serait très avancée.
Je
me mettrais dans le lit et fumerais une cigarette par habitude. Par
habitude de quand nous nous couchions ensemble. Je fermerais les
yeux. Je répéterais dans ma tête une succession de s'il vous
plaît. Je mettrais du temps à trouver le sommeil. Je m'endormirais.
Et
la gorge serrée de cafard me ferait mal déglutir. Des fourmis dans
tout le corps. Je me dirais que mon corps est un nid à microbes et
qu'il serait bon de le passer au désinfectant. Parfois peut-être
j’espérerais trouver une chemise à lui oubliée sous le matelas.
Et je me verrais danser avec dans le salon teinté de lumière
absente de la nuit qui tombe. Et je parlerais à son voile de restes.
Et j'irais virevoltant dans la salle de bains pour regarder son
souvenir qui se rase dans le miroir. Je lui donnerais sa serviette je
continuerais ma danse autour de mon imagination de lui, assis sur le
tapis et mes brûlures au ventre s'engourdiraient de tendresse et
passeraient parce que tout irait faussement mieux, ne t'en fais pas.
Ou si peu. Les yeux dans les yeux. À lui dire comment c'est longs
les jours, comment c'est creux les jours sans lui, comment c'est
difficile et lourd un corps à porter, des larmes tout le temps à
ravaler, des envies de hurler à taire, des envies de casser à
contrôler. Et.
Le
mardi matin
Le
mardi matin je me lèverais à 06 h 45. Par habitude. Par
habitude de quand nous nous levions ensemble. Je me lèverais. Irais
pisser. Me regarderais dans le miroir. Ne me regarderais plus dans le
miroir. J'irais dans la cuisine. Mettrais de l'eau à bouillir. Une
cuillère de café soluble, une pomme, une cigarette. J'entendrais le
souffle de la ventilation dans la cuisine. Je boirais ce café. Je
boirais un autre café et fumerais une autre cigarette. J'entendrais
le souffle de la ventilation dans la cuisine. J'irais aux toilettes.
Je me laverais. Mettrais un jean un tee-shirt.
Je
laisserais un post-it pour le cas où il passerait. Je mettrais mon
tabac dans mon sac. Mes chaussures au pied, prendrais les clés, le
badge de l'entrée. J'enlèverais le post-it et le jetterais à la
poubelle. J'ouvrirais la porte, fermerais la porte, descendrais les
escaliers. Mes pas résonneraient dans l'escalier. Je sortirais dans
la rue. Le soleil commencerait déjà et encore à me brûler les
yeux. Les voitures seraient bruyantes et trop nombreuses. Je
marcherais dix minutes. Mes jambes seraient lourdes à soulever. Je
sentirais les muscles de mes cuisses se tendre et se détendre au
rythme de mes enjambées. Je serais arrivée à mon travail. Il
serait entre 08h40 et 08h50.
Je
prendrais un café à la machine. Je ne discuterais pas avec les
gens. Ou alors de loin. Je commencerais à voir la danse lente de
l'arrivée du personnel. Je me mettrais dans la salle de travail et
recouvrirais des livres, des bouchons dans les oreilles. Mes gestes
seraient mécaniques et un poil trop lents.
La
journée s'écoulerait fade et lointaine. Distante et sale. Parfois
j'attendrais longtemps l'ascenseur. Mon regard se bloquerait sur les
lignes verticales et mécaniques de la structure en métal vitré du
bâtiment. La sonnerie de l'ascenseur me rappellerait à l'ordre.
J'appuierais sur -1. Les étages défileraient. Mes pas seraient
mesurés et mécaniques. Mes mots rares et faibles. Mes sourires
tirés.
Le
midi je ne prendrais pas de pause. Je regarderais de temps en temps
mon téléphone. Vide téléphone.
Pendant
ma pause je recouvrirais encore et toujours toutes sortes de
documents. D'un papier lisse et transparent. Il serait souple,
toujours. Et aucune bulle d'air ne viendrait écorcher la surface.
Objet épilé au toucher. Douce joue en plastique que je caresse les
yeux fermés. Et la journée continuerait, animal sauvage et tapi
dans un coin. Animal fragile, apeuré dans une tanière en feu de
bois.
17 h
sortie du travail. Je traverserais le pont. Mon corps lourd sur mes
jambes lourdes. Je ne regarderais pas les voitures et traverserais.
Comme ça. J'arriverais en bas de mon immeuble. Sortirais le badge et
prendrais l'ascenseur. L'ascenseur arriverait au huitième étage.
J'ouvrirais la porte de l'appartement. L'appartement serait
silencieux et immobile. Il ne me chuchoterait aucun secret, aucune
visite passée pendant mon absence. Je fumerais une cigarette,
boirais un café, irais me laver les mains, irais aux toilettes. Je
sortirais de la salle de bains et me mettrais droite sur le canapé.
Je regarderais le vide laissé par ses affaires. Longtemps, je
regarderais le vide. Les instruments partis auraient laissés des
traces au sol. Ses livres enlevés auraient laissés des traces aux
étagères. Ses chemises retirées auraient laissées des traces aux
cintres. Son corps absent du lit aurait laissé un creux à mon corps
endormi.
Le
jour déclinerait vite. Je prendrais un livre pour me donner de la
contenance mais mon cerveau aurait du mal à articuler les lettres
dans ma tête. Je fermerais le livre et observerais les ombres sur le
mur. La petite lampe du salon recouvrirait les parois murales
d'ombres bienveillantes/malveillantes. Les plis du rideau
recouvriraient le reste du rideau d'ombres
malveillantes/bienveillantes. L'appartement serait sombre mais
immobile. Je respirerais doucement. La nuit continuerait d'avancer.
Je
me mettrais dans le lit et fumerais une cigarette par habitude. Par
habitude de quand nous nous couchions ensemble. Je fermerais les
yeux. Je répéterais dans ma tête une succession de s'il vous
plaît. Je mettrais du temps à trouver le sommeil. Je m'endormirais.
Prise
d'un élan boulimique et frénétique de restes de lui, je courrais
sur la pointe des pieds, petits pas de rongeur nocturne jusqu'à la
salle de bains pour fouiner et scruter des poils de lui sur le sol
peut-être encore. Détective des heures sans sommeil, je récolterais
en bouquet des épluchures de peaux, d'os et de cheveux pour en faire
un petit autel sur le rebord de la baignoire. À reconstituer un bout
de doigt, à reconstituer une mèche de cheveux, à reconstituer un
morceau de peau. C'est alors que la structure de son corps à
découper prendrait forme dans la structure de mon esprit lavé de
lui. Je le regarderais et me souviendrais des plis de sa peau au coin
de ses lèvres. Je reniflerais ses aisselles et lui soufflerais des
promesses tenues. Je lui dirais ma journée et combien c'est
difficile un
silence
de mur le soir en rentrant. Comment dans ces cas-là je voudrais
travailler toute la journée et le nuit durant. Pour ne pas ressentir
son vide. Et lui dire que parfois je m'improvise marabout pour lire
dans le marc du café sa présence quelque part dans l'ailleurs que
je ne sais pas.
Le
mercredi matin
Le
mercredi matin je me lèverais à 06 h 45. Par habitude.
Par habitude de quand nous nous levions ensemble. Je me lèverais.
Irais pisser. Me regarderais dans le miroir. Ne me regarderais plus
dans le miroir. J'irais dans la cuisine. Mettrais de l'eau à
bouillir. Une cuillère de café soluble, une pomme, une cigarette.
J'entendrais le souffle de la ventilation dans la cuisine. Je boirais
ce café. Je boirais un autre café et fumerais une autre cigarette.
J'entendrais le souffle de la ventilation dans la cuisine.
J'irais
aux toilettes. Je me laverais. Mettrais un jean un tee-shirt.
Mercredi,
jour d'enfants en bas âge à qui raconter des histoires pour croire
à des jolies fins. Alors avant de partir je mettrais mon masque de
menteuse. Je me colorerais les paupières de gris anthracite et un
peu de vert canard. Du mascara pour des cils à toucher les plafonds
hauts. Et la poudre partout, de la poudre beaucoup, pour rendre ma
peau uniforme, inexpressive et hermétique. Pour prendre les visages
que je souhaite. Je sortirais de la salle de bains, éteindrais la
lumière, mettrais mes chaussures à talons, prendrais mes clés. Et
claquerais la porte. Je descendrais les escaliers et mes pas
résonneraient dans tout l'immeuble. J'arriverais au deuxième étage,
me rendrais compte que je n'ai pas fermé à clé. Me dirais qu'il
n'y a rien d'important dedans. Continuerais la descente. Et
arriverais dans la rue. Je me concentrerais pour étendre mes jambes
et avoir une démarche naturelle. Le pont serait ma piste
d’entraînement. Je plierais, tendrais, lancerais, poserais la
jambe. Je plierais, tendrais, lancerais, poserais l'autre jambe.
J'attendrais au feu, je traverserais la route. Deux fois.
J'arriverais
à mon travail. Badge. Ascenseur. Quatrième étage. Salle de
travail.
Collègue
café. 10 h moins 10. Je descendrais dans la partie jeunesse.
Prendrais un chariot. Mettrais des livres dessus. Rangerais le
chariot. Le temps s'écoulerait. Je clignerais des yeux et ferais des
appels de fards à paupières. L'heure du conte approcherait. L'heure
du conte commencerait. Les gamins seraient là. Brouhaha de cris
aigus et de remarques inintéressantes qui couvrirait mon brouhaha
interne et inapproprié. Je leur expliquerais que nous sommes
mercredi. Que je n'aime pas le mercredi. Mais que parce que nous
sommes mercredi, ils auraient droit à une histoire. Je prendrais un
livre, je l'ouvrirais et lancerais ma voix contre les murs. Ma voix
éraillée et creuse tenterait de couvrir et d'envelopper toutes les
petites têtes blondes. Je me jetterais dans les histoires et
pleurerais quand il faudrait pleurer, rirais quand il faudrait rire
et crierais quand il faudrait crier. Je ferais ça, passable. Ça
fonctionnerait. L'heure du conte serait finie, les enfants
partiraient. Je me frotterais les yeux et effacerais mon maquillage.
Je descendrais de mes chaussures. Toute la journée je resterais sans
chaussure. Loin de mon piédestal factice. Personne ne me dirait
rien. Je passerais ma journée non-aimée à plat, à chercher, à
creuser avec le talon, sous chacun de mes pas, à tour de rôle, le
sol armé du grand bâtiment hostile. Les deux dernières heures de
la journée seraient longues. Mais ce ne serait pas grave. Je
passerais mon temps à m'occuper l'esprit par l'ordre alphabétique
des romans mal classés. Les lumières s'éteindraient, je voudrais
rester, je n'aurais pas fini. Mais il faudrait rentrer mademoiselle
dans votre appartement minable et vide. Alors d'un pas encore une
fois lourd et absent, je mettrais un autre pas devant un autre pas,
mes chaussures à la main. À l'extérieur, les gens se moqueraient
je crois. À l'extérieur, je serais un pantin désarticulé qui
aurait fini sa danse matinale et trop brève. J'aurais mis trente
minutes à rentrer pour un trajet qui n'en compte que dix. Je serais
contente, j'aurais bien tué le temps. Il serait presque 20 h. Je
finirais ma cigarette et boirais du coca. J'irais me laver les mains
et irais aux toilettes. Je sortirais de la salle de bains et me
mettrais droite sur le canapé. Là, je me dirais que c'est un soir à
oublier, que c'est un soir à être saoule. J'ouvrirais une bière
pour moi, j'ouvrirais une bière pour lui. Je trinquerais et boirais
la première gorgée. Finalement, j'irais me mettre dans la cuisine.
Sur la chaise blanche. À la table blanche. Ici, ça me paraîtrait
moins grand. Ici, parfois je regarderais mon reflet que je ne
connaîtrais plus dans la vitre du micro onde, dont je ne me
servirais plus. Avec la première bière j'aurais tué trente
minutes. Je prendrais la sienne qu'il n'aurait pas touché. Je la
trouverais meilleure. Parce que ce serait la sienne. Parce que
pourtant moins fraîche et moins de bulle. Je ne saurais pas pourquoi
mais je penserais au trajet pour aller à la gare de chez mes
parents. Avec le terrain de tennis désaffecté et la route bordée
de peupliers.
Ensuite,
je regarderais la ville qui se coucherait. Par la fenêtre, je
verrais des écrans de télévision qui s'animeraient dans des
appartements loin en face. Je regarderais le calme de la ville, le
loin de la ville, l'absence de la ville. J'entendrais peut-être des
chiens au loin. J'aurais fini la deuxième bière. J'en ouvrirais une
troisième. Mais ça ne me ferait rien. L'alcool depuis, ne me ferait
rien. Parce que mon cerveau se serait endormi, parce que mes sens se
seraient endormis, parce que mon euphorie se serait endormi. Je me
chercherais dans le reflet de la table blanche. Je ne verrais rien.
Peut-être serait-elle trop sale. Je prendrais une éponge, du
produit et frotterais. Frotterais encore. Frotterais encore. Jusqu'à
en avoir chaud. Jusqu'à en avoir des gouttes de sueur sur le front
et sous les bras. Et ce ne serait plus la table que je décaperais
mais ma peau. Que je voudrais retrouver vierge. Que je voudrais
connaître lisse. Ce serait toute cette période et cette personne
que je voudrais gommer pour ne plus avoir à faire face. Parce que je
n'y arriverais pas, parce que ce serait douloureux. Mais la table ne
pourrait pas être plus blanche que blanche. Et la peinture
resterait. Et cette histoire resterait et les pellicules de ma peau
resteraient toujours là. En palimpseste. Et je serais vraiment
fatiguée. Depuis longtemps. Et je me mettrais sur la chaise blanche.
Et je me roulerais une cigarette. Et je m'endormirais le front dans
mon coude, la cigarette qui se consumerait, qui ne se consumerait pas
sur le bord du cendrier. En vrac. Comme saoule malgré tout. Comme
presque saoule malgré tout. Sans rite. Sans rien. Je tomberais de
fatigue le front dans mon coude, la cigarette qui se consumerait, qui
ne se consumerait pas sur le bord du cendrier.
Le
jeudi matin
Le
jeudi matin je me lèverais à 06h45. Par habitude. Par habitude de
quand nous nous levions ensemble. Je me lèverais. Irais pisser. Me
regarderais dans le miroir. Ne me regarderais plus dans le miroir.
J'irais dans la cuisine. Mettrais de l'eau à bouillir. Une cuillère
de café soluble, une pomme, une cigarette. J'entendrais le souffle
de la ventilation dans la cuisine. Je boirais ce café. Je boirais un
autre café et fumerais une autre cigarette. J'entendrais le souffle
de la ventilation dans la cuisine.
J'irais aux toilettes. Je me laverais. Mettrais un jean un tee-shirt.
J'irais aux toilettes. Je me laverais. Mettrais un jean un tee-shirt.
Jeudi,
journée qui démarrerait tard. Alors, sûrement je prendrais le
temps de me changer et d'essayer d'autres vêtements. Sans jamais en
être convaincue. Je ferais traîner les minutes au fil des
tee-shirts qui s'entasseraient sur le dessus de la machine à laver.
Je me rendrais compte que le temps est déjà au retard. Je me
changerais une dernière fois pour remettre ma panoplie de premier
choix. Je ne serais pas convaincue. Je me trouverais bouffie. La
journée commencerait mal. Je descendrais vite les escaliers en
courant. Marcherais vite et traverserais les routes n'importe
comment. J'arriverais à mon travail essoufflée pour me rendre
compte que les gens ont pris encore plus le temps, eux, ce matin.
J'irais sur la terrasse fumer une cigarette. Les gens commenceraient
à arriver. Vite, je m'éclipserais dans la salle de travail. Je
ferais un choix de livres simples à couvrir. Des albums, des
documentaires, des romans et des contes. J'en feuilletterais
certains. Mais pas tous. Ça m'ennuierait. Et puis la matinée
coulerait au fil des illustrations pour enfants. Il serait 11 h 30.
J'irais au rez-de-chaussée pour récupérer d'autres livres à
trier. Je reprendrais l'ascenseur et retournerais dans la salle. Mes
collègues proposeraient un repas toutes ensemble. Je prétexterais
une occupation prévue depuis longtemps. Je retournerais chez moi
pour une heure et demie. Je la passerais à fumer, à boire du café,
à souffler, à boire du coca, à aller aux toilettes, à m'épiler
les sourcils, à fumer. Je retournerais au travail et malgré moi
ferais le compte à rebours dans ma tête jusqu'à 19 h. Cette
journée me pèserait. Mais comme le fait de rentrer, d'ailleurs. Je
ne saurais pas ce que j'attendrais alors j'aurais le ventre noué. Je
voudrais être quelqu'un d'autre. Je voudrais être ailleurs. Je
voudrais être quelqu'un d'autre ailleurs. Je voudrais croire que
cette brûlure blanche passerait un jour ou l'autre. Je voudrais
croire que je pourrais repartir à zéro. Je voudrais croire en la
spontanéité, la nouveauté, la surprise. Au lieu de ça, je serais
un poisson cru dans un bocal creux rempli d'eau plate.
La
journée de travail serait finie. 19 h. Je sortirais du
bâtiment. Des collègues dehors discuteraient ensemble et
lanceraient un appel pour aller boire un verre quelque part. Je
ferais comme si je n'entendais rien. Je rentrerais, la tête dans les
épaules, le regard posé sur rien, je rentrerais les mains bourrées
dans mes poches, les pieds traînants et les lacets mal faits. Je
n'arriverais pas à me souvenir de quelle culotte je porterais. Je
serais en bas de l'immeuble. Deux hommes se disputeraient et feraient
mine d'avoir envie de se battre. J'ouvrirais la porte d'entrée. Et
monterais les escaliers, vite, à pied pour ne pas attendre
l'ascenseur, pour ne pas être tentée d'aller moi aussi participer à
la bagarre, pour ne pas avoir envie d'aller voir ce que ça fait un
couteau dans la chair, pour ne pas être traversée par des pulsions
de leur exploser le crâne sur le bitume.
Les
huit étages m'essouffleraient et me brûleraient les cuisses.
J'arriverais chez moi. Ouvrirais la porte. Et m'assoirais par terre
dans le couloir d'entrée. Le dos appuyé au mur.
Début
de la soirée chez moi. Je serais donc assise par terre dans le
couloir d'entrée. Le dos appuyé au mur. J'aurais des vagues
d'énervement venues de je ne sais où. Je me concentrerais sur ma
respiration. À expirer fort. Toutes les toxines de mes nerfs. Les
mettre hors de moi. Je ne sais pas pourquoi j'aurais les poings très
serrés et mes ongles rentreraient dans ma chair. Je me projetterais
des images mentales de choses lisses et plates. Des plaines.
Enneigées les plaines. Je m'imaginerais un vent léger dessus. Et
les traces du vent sur la neige. Comme une mer figée. Je
décrisperais une main. Je décrisperais l'autre main. Soudain
j'entendrais le bruit de la télévision de la voisine. J'irais dans
la salle de bains, j'entendrais mieux. Je collerais mon oreille aux
carreaux froids. J'entendrais le magma de paroles rapides et
inarticulées. Et des buzz de jeux à réponses rapides. Je
retournerais dans la cuisine prendre une bière et mon tabac. Je me
remettrais à mon poste de voyeur des oreilles. Je passerais la
soirée comme ça. Petit à petit je me décollerais du carrelage et
resterais appuyée contre le mur froid. Recroquevillée dans la
baignoire. Je ne comprendrais rien à ces murmures réconfortants.
Paroles uniques et rares qui me chanteraient une berceuse en secret.
Juste pour moi. Les basses de l'émission qui passeraient me
caresseraient l'échine. Je me dirais peut-être qu'il y a un message
codé là-dessous. Peut-être. Il tenterait peut-être de me parler à
travers le mur. Il me verrait peut-être à travers le mur. Je
m'imaginerais mon amour coincé entre les parois des deux murs des
appartements voisins. Je me l'imaginerais, sa joue collée, à ma
joue collée. Le mur nous séparant. Il me dirait quelque chose. De
ne pas m'en faire. Et d'être patiente. Que ce n'est qu'un temps. Un
moment à attendre. Il me dirait peut-être aussi qu'il m'aime
encore. Il me dirait peut-être aussi qu'il ne m'aime plus. Ou
peut-être rien. Peut-être que ce ne serait qu'une télévision
réglée trop forte par une voisine trop sourde. Et peut-être que je
serais trop fatiguée pour être claire et distincte dans mes
pensées. Alors sûrement, dans ce cas-là j'irais me mettre au lit.
Je
me mettrais dans le lit et fumerais une cigarette par habitude. Par
habitude de quand nous nous couchions ensemble. Je fermerais les
yeux. Je répéterais dans ma tête une succession de s'il vous
plaît. Je mettrais du temps à trouver le sommeil. Je m'endormirais.
Dans
le creux de la nuit sa voix caverneuse viendrait crépiter et
cramoisir dans le cartilage de mes oreilles. En cadence et
inaccessible, je ne le comprendrais pas encore. D'abord, je ne le
comprendrais pas. Je décalerais ma tête du coussin pour singer que
je dors encore. Et encore. J'ouvrirais les yeux mi-clos, pour le
découvrir assis et penché au-dessus de moi. Ses chuchotements
inarticulés me conteraient de jouer le jeu. Jusqu'au bout. Sans rien
transparaître. Sans rien exprimer. Et de tenir le compte. Des jours,
des mots, des mois, des monstres. Les cadavres seraient suspendus
dans cet espace temps hors des horloges. Et moi, frémissante, je ne
respirerais pas. Juste je sentirais son souffle dans le creux de mon
oreille. Et me concentrerais sur les règles à suivre, sur les
conduites à adopter. Souveraine des codes à respecter, mes yeux,
containers d'une vision à faire le deuil, je me concentrerais, je me
concentrerais il dirait. Et sa voix caverneuse se ferait plus
lointaine. Et sa présence animale se ferait plus légère. Jusqu'à
ce que tout disparaisse. Les yeux ouverts, je ne verrais plus rien.
Je me rendormirais
Le
vendredi matin
Le
vendredi matin je me lèverais à 06 h 45. Par habitude. Par habitude
de quand nous nous levions ensemble. Je me lèverais. Irais pisser.
Me regarderais dans le miroir. Ne me regarderais plus dans le miroir.
J'irais dans la cuisine. Mettrais de l'eau à bouillir. Une cuillère
de café soluble, une pomme, une cigarette. J'entendrais le souffle
de la ventilation dans la cuisine. Je boirais ce café. Je boirais un
autre café et fumerais une autre cigarette. J'entendrais le souffle
de la ventilation dans la cuisine. J'irais aux toilettes. Je me
laverais. Mettrais un jean un tee-shirt.
Dernier
jour d'une semaine de travail de plus à ajouter au compteur. Presque
la fête dans ma tête. Sans trop savoir pourquoi. Stupidité des
impressions collectives. Pour l'occasion je mettrais du rouge à
lèvres. Et un foulard coloré. Je sortirais de chez moi avec un
semblant de sourire. Sans trop savoir pourquoi. Stupidité des
impressions collectives. L'ascenseur descendrait les huit étages.
Arrivée dans le hall d'entrée, je me regarderais dans la glace.
Rangerais mon pseudo sourire, effacerais ma peinture buccale et
joviale et mettrais mon foulard dans la boîte aux lettres. En
sachant très bien pourquoi. Parce que rien ne dure. Parce que rien
ne tient. Parce que rien ne résiste au trajet de l'ascenseur. Parce
que rien ne résiste à la chute de l'ascenseur qui m'aspire et me
garde toujours les tentatives de sentiments bien-pensants.
Du
coup, je sortirais de l'immeuble comme chaque jour, depuis un long
moment déjà. Comme chaque jour, je ferais le même trajet avec mon
même air. Comme chaque jour j'aurais mon badge d'entrée dans la
poche gauche. Je rentrerais dans le bâtiment de mon travail.
Attendrais un autre ascenseur. Et comme chaque jour rejoindrais le
quatrième étage. Je regarderais mon planning et aussi celui des
autres jours insipides à venir, de la semaine à venir. À ajouter
au compteur.
Mes
vendredis actuels me sembleraient toujours plus courts que ceux
d'avant. Lorsque je terminais à 19 h et passais mon temps à compter
les heures, une par une, qui me séparaient de mon amour. Me dire que
mon week-end avec lui serait entravé de cette partie de soirée trop
avancée. Et maintenant, toujours ce sentiment d'attente de la fin de
la journée mais avec la raison en moins. Stupidité des impressions
collectives.
J'errerais
et découlerais dans ce vendredi en faisant mes gestes toujours
mécaniques et en ne sachant pas pourquoi j'aurais cette hâte de
fin. Stupidité des impressions collectives.
Il
serait déjà midi. Je resterais boire un café et plusieurs à mon
travail. Pour profiter de l'odeur des lieux, pour le garder en
mémoire tout ce long week-end d'hibernation à le passer avec moi et
ma gueule. La pause du midi serait passée.
Nous
serions déjà le début d'après-midi et j'aurais l'angoisse dans le
ventre. Je rendrais mes gestes encore plus lents et suspendus.
Histoire de rendre le temps plus étiré. Et mes mots se
désarticuleraient et se rendraient pâteux. On me comprendrait mal.
On me demanderait si ça irait, j'aurais l'air fatiguée.
Les
larmes aux yeux, la gorge serrée, je dirais que j'aimerais être ici
et voir des étagères en abondance de livres à découvrir. Sans
l'envie de les lire. Il ne resterait plus qu'une heure. Je resterais
à ranger des livres et à mettre tout en ordre. Comme un devoir de
quitter des lieux propres et serrés pour lorsque j'y reviendrais.
Comme si le lieu était à moi. Et comme si j'en étais l'unique
salariée. En oubliant que des gens finissent plus tard, que des gens
y travaillent le week-end. 17 h, je serais libre. Bon week-end on me
dirait. Et face au soulagement qu'auront les gens d'enfin retrouver
leurs proches, ce serait un bouleversement dans mon intérieur
d'enfin ne retrouver personne. D'abord je resterais plusieurs minutes
debout, les bras le long du corps, comme ça sur le pont. À juste
être abasourdie par ce grand vide de trois jours qui s'offrirait à
moi. Tout ce temps à tuer. À s'y jeter dedans, lui rentrer dedans
la tête la première. Et puis le soleil dans la gueule m'éblouirait.
J'aurais chaud. Il faudrait que je change d'espace. Je marcherais.
Tout droit. Dépasserais mon appartement et marcherais encore. Tout
droit. Les gens me sembleraient euphoriques et hâtés d'aller
quelque part. Je marcherais et entendrais mes pas résonner dans le
squelette de mon crâne. Et je serais dans un désert urbain parsemé
d'éléments mobiles qui me dépasseraient et passeraient à côté
de moi. Je continuerais toujours à marcher tout droit. Devant des
boutiques, devant des grands magasins, sur des routes en travaux, sur
des rues piétonnes, sur des rues bondées, sur des trottoirs
étroits. Je traverserais le fleuve.
Le
jour commencerait à décliner. Il ferait plus frais. Ce serait bien.
Je commencerais à avoir mal aux pieds, enfin les pieds chaufferaient
plutôt. Je trouverais un banc. M'assoirais, fumerais une cigarette.
Je regarderais la fraise de la cigarette rougir. Les cendres
s'envoleraient. Certaines tomberaient sur mon jean. Je fermerais les
yeux et me concentrerais sur l'air qui effleurerait mes joues. De
l'eau tiède pourrait baigner sur ma tête. Je serais ensevelie dans
des nappes aquatiques et chaleureuses. Mon corps serait lourd. Mes
mouvements suspendus et si j'avais les cheveux longs, ils
flotteraient autour de moi. Au lieu de ça, je serais plate et
attirée par le sol, les cheveux courts collés au crâne et ma
cigarette finie. Je me lèverais du banc en dépliant mes genoux. Je
tournerais sur ma gauche. Ferais le tour du banc. Et reprendrais le
chemin inverse. Trajet de retour que je connaîtrais par cœur.
Chemin inverse qui me ramènerait jusqu'à chez moi. Chemin inverse
qui me renseignerait sur le temps écoulé par la fermeture des
commerces. Les gens ne me dépasseraient plus. Ils seraient assis à
la terrasse de cafés et par grappe. Ils ne me verraient plus ne me
verraient pas, ne me connaîtraient plus ne me connaîtraient pas. Et
moi je ne les envierais plus ne les envierais pas, ne me mettrais
plus à leur place ne me mettrais pas à leur place, ne me
demanderais plus comment ils font ne me demanderais pas comment ils
font pour être comme ça. Je me serais fait comme à l'idée. Je ne
me sentirais pas concernée. Et ce passé de moi me serait devenu
étranger. Je serais dans une période, dans un pan de mon âge qui
serait creux et vierge. Devant des boutiques, devant des grands
magasins, sur des routes en travaux, sur des rues piétonnes, sur des
rues bondées, sur des trottoirs étroits, je rentrerais chez moi.
Mon regard au fil de mes pas lisserait les joues de chacun. Je
rentrerais chez moi. Mon regard au fil de mes pas, effleurerait les
allures de chacun. Je rentrerais chez moi. Mon regard au fil de mes
pas, entendrait des bribes de mots de chacun. Je serais arrivée chez
moi. J'ouvrirais la porte de l'immeuble avec mon badge. Taperais le
code de l'étage dans l'ascenseur. Arriverais au huitième étage et
entrerais dans mon appartement. La nuit serait enfin arrivée. Je
mettrais deux lumières dans le salon, une dans le couloir, une dans
la cuisine et une autre dans la chambre. Comme si d'autres personnes
occupaient les lieux. Pour tromper la solitude. La soirée du
vendredi soir pourrait commencer. Je me demanderais quoi faire. Je
n'aurais rien à faire, rien envie de faire. Aucun projet à
terminer. Aucun projet à commencer. Aucune idée d'envie de quoi que
ce soit. Du blanc dans ma tête. Alors je m'installerais, les jambes
en tailleur sur le canapé. Non, les jambes devant moi posées par
terre. Je regarderais le mur blanc en face. Je me roulerais deux
cigarettes. Me servirais un verre de coca. Retournerais me mettre sur
le canapé. Droite donc. Face au mur, une cigarette allumée. Je
regarderais les ondulations qui se détacheraient de la partie
incandescente de la cigarette allumée. Je regarderais les plis du
papier à tabac et le tabac à travers cette transparence de la
cigarette allumée. Je me demanderais si j'aurais à nouveau le
courage de me brûler la peau du bras avec la partie incandescente de
la cigarette allumée. Je me demanderais ce que ça ferait si je
tirais pour la première fois une bouffée de la partie incandescente
de la cigarette allumée. Est-ce que je tousserais à cause de la
fumée de la partie incandescente de la cigarette allumée. Est-ce
que ma gorge se serrerait à cause du goût de la fumée de la partie
incandescente de la cigarette allumée. Je me demanderais si un jour
je ne fumerais plus. Si un jour je serais gênée, écœurée par
l'odeur de la fumée de la partie incandescente de la cigarette
allumée. Ma cigarette serait finie, je l'écraserais dans le
cendrier. Il me resterait la deuxième cigarette en attente. Posée
sur la table. À voir pour plus tard. J'irais aux toilettes. Tirerais
la chasse. Allumerais la petite lumière au-dessus du miroir du
lavabo. Je m'observerais. Je compterais mes rides au coin des yeux.
Me rappellerais l'apparition de chacune d'entre elles. Je mettrais
autour de chaque index une feuille de papier-toilette et partirais à
la traque aux points noirs. Je me ferais des petites marques rouges
sur le visage. Mais qui partiraient vite.
J’aérerais
ma peau de toute sa mauvaise humeur accumulée ces derniers temps.
Ensuite je prendrais
la
pince à épiler et redessinerais mes sourcils.
À
ce moment, il me manquerait. Énormément et à fond. J'aurais
vraiment du mal ce soir là je crois.
Je
ne saurais pas vraiment pourquoi.
Alors
je me replongerais dans les particules de sébum superficielles à
éliminer des pores de ma peau. J'aurais réussi à tirer une bonne
heure comme ça. Je ne voudrais pas savoir l'heure qu'il est, pour me
détacher du compte immense qu'il y a d'ici à la reprise du travail.
J'attendrais juste que la fatigue arrive pour m'endormir vite.
Je
regarderais de très près mes yeux et leur intérieur opaque. Je les
fermerais. Et tenterais de me rappeler les siens. Ils seraient
toujours présents dans mes souvenirs. Par contre l'emplacement exact
de certains grains de beauté seraient flous. Le motif précis de
certaines chemises aussi. J'éteindrais la petite lumière, puis la
grande lumière de la salle de bains. Irais m'allonger en culotte et
débardeur sur le lit. Les bras le long du corps. Je fermerais les
yeux et respirerais par le ventre. Pour me détendre. Pour faire
venir le sommeil plus tôt. Ça viendrait, oui je sentirais que ça
viendrait. Alors effort dernier.
Je
me mettrais dans le lit et fumerais une cigarette par habitude. Par
habitude de quand nous nous couchions ensemble. Je fermerais les
yeux. Je répéterais dans ma tête une succession de s'il vous
plaît. Je mettrais du temps à trouver le sommeil. Je m'endormirais.
Un
réveil nocturne me ferait déplier mes genoux et m'extraire du lit.
Je ne serais plus là s'il vous plaît, c'est long écourtez le
temps. Rendez-moi absente et endormie. Je me gratterais la joue et
sentirais qu'aucune partie de mon corps n'a été touchée depuis
longtemps. Et j'ouvrirais la fenêtre et regarderais les voitures
passer pour attendre la sienne. Ce soir il rentrera. Et au loin,
enfin, après des heures à scruter dans la nuit, les voitures
allumées, je verrais la sienne.
Petite,
qui se faufile entre les rues et cherche une place. Je lui ferais
signe qu'il y en a une juste en bas de l'immeuble. Que je la lui
garde du regard depuis longtemps déjà. Il ferait un créneau facile
et délié. Alors je courrais devant la porte d'entrée et compterais
jusqu'à 23. L'ascenseur ne ferait aucun bruit. Je retournerais voir
par la fenêtre, s'il est toujours dans sa voiture. La voiture serait
vide et éteinte. Il aura dû rentrer dans l'immeuble pendant ce
temps. J'écouterais à travers la porte. Je n'entendrais rien. Je
recompterais jusqu'à 23. Rien. Il devrait regarder le courrier. À
10, j'entendrais l'ascenseur. 10 il ne se passerait rien. Je lui
chuchoterais de prendre l'escalier, l'ascenseur devrait être en
panne.
Par
communication mentale, il me dirait d'accord. Il y aurait huit
étages. Pour chaque étage, je compterais jusqu'à 15.
Huit
fois. Lentement. En mettant des Mississippis entre. À la fin du
compte. Je me dirais que j'aurais dû compter jusqu'à 20 plutôt.
Alors je rajouterais 5, huit fois. Calmement. Même si mon cœur
palpiterait, même si j'aurais envie de courir pieds nus et de lui
sauter dans les bras dans la cage d'escalier. Il devrait être là.
Je n'entendrais rien. Ou si, peut être son souffle léger à travers
la porte. Il ne devrait pas oser rentrer. Je regarderais par le
judas. Personne. Il devrait être accroupi et l'oreille collée à la
porte pour écouter le bruit que je ne ferais pas. Alors moi aussi je
m'assoirais par terre contre la porte et lui poserais une liste de
questions et lui dirais que chez moi c'est chez lui. Que je me ferais
petite, que nous pourrions dormir séparément s'il préfère, que je
ne ferais pas de bruit. Que je ne demanderais plus jamais rien. Juste
le voir et savoir qu'il est ici. Qu'il est de retour. Et mes murmures
se feraient de plus en plus légers, et mes mots de plus en plus
confus et mes pensées de plus en plus floues. Personne en retour. Et
je ne saurais plus où je voudrais en venir. Personne en retour. Et
mes yeux se fermeraient et ma tête deviendrait lourde et
s'affaisserait entre mes épaules. Personne en retour. Je dormirais
en attendant son choix.
Le
samedi matin
Je
n'aurais pas d'habitude de levé le samedi matin alors je me lèverais
comme ça. Ce serait tôt j'imagine. Je serais assise contre la porte
d'entrée. J'ouvrirais les yeux sur la fenêtre en face. Le jour ne
serait pas vraiment levé. J'aurais froid en culotte sur le sol.
J'aurais des courbatures dans mon cou. Je contemplerais longtemps le
ciel matinal. Mes jambes seraient froides. À côté de moi, il y
aurait toujours le tabac de la veille et le cendrier au sol. Alors je
fumerais une cigarette. Je me demanderais comment se passera cet
énième week-end à ne rien faire. J'aurais peut-être un peu peur
mais sans plus. J'aurais peut-être fait un mauvais rêve je crois.
Une désagréable impression me resterait en tête. Pour sortir du
brouillard, je ferais bouillir de l'eau froide dans la bouilloire
blanche. J'attendrais debout en regardant la bouilloire blanche et en
entendant le bruit de l'eau frémissante. J'arrêterais la bouilloire
blanche. Je mettrais une cuillère de café soluble dans la tasse
blanche, remuerais avec la cuillère. Je m'assoirais sur la chaise
blanche. Face à la table blanche. Je boirais par petites gorgées
mon café trop chaud. La première tasse serait finie. Je fumerais ma
cigarette restée sur le cendrier. Je regarderais le cendrier.
Longtemps je le regarderais. Et je me demanderais. Il sort d'où ton
cendrier.
Aujourd'hui
je ne sortirais pas.
Le
samedi j'aurais ma journée à tuer.
Je
me mettrais sur le canapé, armée d'une pince à épiler. Je
scruterais chaque poil sous la peau et gratterais. Mon entre-jambe et
mes tibias n'auraient jamais été autant marqués de points rouges.
Je fumerais une autre cigarette, je serais calme et voilée. Le temps
s'écoulerait au rythme des nappes de fumée que je cracherais. Il
n'y aurait aucun bruit. À part le râle de la ville mais au loin
seulement. Il serait midi je ferais un autre cafécigarette. Je
regarderais par la fenêtre. Je regarderais longtemps par la fenêtre.
Et la ventilation toujours là. Je n'aurais rien à penser. Ensuite
je traînerais vers le canapé. Je regarderais mes ongles. Je
regarderais longtemps mes ongles. J'en rongerais quelques-uns
surement. Je m'arracherais aussi la peau autour. Je reprendrais la
pince à épiler et continuerais la traque aux bosses. Ensuite je
voudrais surement regarder un film. Je n'aurais pas d'idée précise.
J'en mettrais un. Je ne le suivrais pas. Je ne comprendrais rien aux
mots articulés. Ça ferait un fond sonore.
Avec
un peu de chance ce serait la fin de l'après midi. J'attendrais
alors le soir. Je regarderais mon téléphone. Il serait vide. Il ne
sonnerait pas. Il n'aurait pas sonné. Je continuerais à attendre.
Debout dans le couloir. Dans le jour baissant. Le cendrier
déborderait et l'air serait saturée. J'aurais faim mais ne le
remarquerais pas. La nuit serait très avancée.
Je
me mettrais dans le lit et fumerais une cigarette par habitude. Par
habitude de quand nous nous couchions ensemble. Je fermerais les
yeux. Je répèterais dans ma tête une succession de s'il vous
plaît. Je mettrais du temps à trouver le sommeil. Je m'endormirais.
Nuit
blanche. Nuit vide. Nuit absente. Pas là. Pas présente. Nuit sans
intérêt. Rien à rapporter. Rien à signaler.
Le
dimanche matin
Le
dimanche matin je me lèverais à 06h45. Par habitude. Par habitude
de quand nous nous levions ensemble. De quand je mettais le réveil à
sonner pour le travail la semaine. Je me lèverais. Irais pisser. Me
regarderais dans le miroir. Ne me regarderais plus dans le miroir.
J'irais dans la cuisine. Mettrais de l'eau à bouillir. Une cuillère
de café soluble, une pomme, une cigarette. J'entendrais le souffle
de la ventilation dans la cuisine. Je boirais ce café. Je boirais un
autre café et fumerais une autre cigarette. J'entendrais le souffle
de la ventilation dans la cuisine. J'irais aux toilettes. Je me
laverais. Mettrais un jean un tee-shirt.
Je
ne sortirais pas. Le dimanche j'aurais ma journée à tuer. Je me
mettrais sur le canapé, armée d'une pince à épiler. Je scruterais
chaque poil sous la peau et gratterais. Mon entre-jambe et mes tibias
n'auraient jamais été autant marqués de points rouges. Je fumerais
une autre cigarette, je serais calme et voilée. Le temps
s'écoulerait au rythme des nappes de fumée que je cracherais. Il
n'y aurait aucun bruit. À part le râle de la ville mais au loin
seulement. Il serait midi je ferais un autre café-cigarette.
Je
regarderais par la fenêtre. Je regarderais longtemps par la fenêtre.
Et la ventilation toujours là. Je n'aurais rien à penser. Ensuite
je traînerais vers le canapé. Je regarderais mes ongles.
Je
regarderais longtemps mes ongles. J'en rongerais quelques-uns
sûrement. Je m'arracherais aussi la peau autour. Je reprendrais la
pince à épiler et continuerais la traque aux bosses. Ensuite je
voudrais sûrement regarder un film. Je n'aurais pas d'idée précise.
J'en mettrais un. Je ne le suivrais pas. Je ne comprendrais rien aux
mots articulés. Ça ferait un fond sonore.
Avec
un peu de chance ce serait la fin de l'après midi. J'attendrais
alors le soir. Je regarderais mon téléphone. Il serait vide. Il ne
sonnerait pas. Il n'aurait pas sonné. Je continuerais à attendre.
Debout dans le couloir. Dans le jour baissant. Le cendrier
déborderait et l'air serait saturée. J'aurais faim mais ne le
remarquerais pas. La nuit serait très avancée.
Je
me mettrais dans le lit et fumerais une cigarette par habitude. Par
habitude de quand nous nous couchions ensemble. Je fermerais les
yeux. Je répéterais dans ma tête une succession de s'il vous
plaît. Je mettrais du temps à trouver le sommeil. Je m'endormirais.
Saut
à suivre de toute une semaine en panne à venir très cher. Ce
serait déjà ça. La pluie laverait la ville de toute cette merde.
Ce serait déjà ça. La pluie laverait la ville de toute ma
pollution cutanée. Je sentirais les jours à venir difficiles. Je
sentirais les jours arsenaux. Ce serait déjà ça. Au moins ce
serait déjà ça. Dans son lit de ronces mortes, il devrait douter
et se demander sûrement.
Regardez
dehors. Dans mon lit de fil dentaire, j'enchaînerais les rages de
dents. Regardez dehors. Ça sentirait le souffre. Regardez dehors, ça
sentirait les interdictions parentales. Ce serait déjà ça. Autour
d'un café, l'urgence diabolique et somatique des mots non dits
pourraient tourner au vinaigre. Vous le saurez. Vous le verrez. Mais
vous ne direz rien. Alors tout le monde courraient à grand pas.
Dehors ça se poursuivrait mais à peine. Ce serait déjà ça.
Dehors ça se poursuivrait à grand pas. Et encore la pluie laverait
la ville de toutes les inquiétudes vaines. Et toujours la pluie lave
et laverait de toutes les perturbations dominicales.
Le
lundi matin
Le
lundi matin je me lèverais à 06h45. Par habitude. Par habitude de
quand nous nous levions ensemble. Je me lèverais. Irais pisser. Me
regarderais dans le miroir. Ne me regarderais plus dans le miroir.
J'irais dans la cuisine. Mettrais de l'eau à bouillir. Une cuillère
de café soluble, une pomme, une cigarette. J'entendrais le souffle
de la ventilation dans la cuisine. Je boirais ce café. Je boirais un
autre café et fumerais une autre cigarette. J'entendrais le souffle
de la ventilation dans la cuisine. J'irais aux toilettes. Je me
laverais. Mettrais un jean un tee-shirt. Etc.
Etc.
Claire Von Corda
Bravo !
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